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mercredi 17 février 2016

Ukraine: la destitution manquée de Yatséniuk et le chaos politique


Hier, le 16 février, les députés ukrainiens n'ont pu destituer un Gouvernement auquel ils ont refusé leur confiance et un Premier ministre qui ne satisfait plus personne, sauf encore l'ambassadeur américain qui hésite de plus en plus bruyamment. Que s'est-il passé finalement?


En raison de son manque de soutien politique et populaire, le Gouvernement doit sauter

Selon les chiffres publiés par les médias ukrainiens, 71% de la population soutient le départ de Yatséniuk. Le niveau de corruption est tel que même l'ancien président géorgien, actuel gouverneur d'Odessa, fait des émules en accusant Yatséniuk et son équipe de diriger la corruption du pays. Le FMI a bloqué le versement des tranches suivantes en attendant que la situation s'améliore et que les réformes se fassent. 

Le Président s'est alors cru obligé d'intervenir et, voulant profiter de la destabilisation du Premier minsitre, a tenté d'envoyer ce Gouvernement et Yatséniuk en tête en retraite, afin de reprendre la main et de mettre fin à un partage du pouvoir. Pour faire passer la pillule, le départ du Procureur général, qui ne satisfait pas les organismes internationaux, a été mis dans la balance.

Voici l'intervention du Président Poroshenko avant la cession parlementaire devant décider du sort du Gouvernement:

En substance, le moment n'est plus à des opérations d'aménagement, il faut de la chirurgie politique, le remaniement gouvernemental doit être profond et Yatséniuk doit démissionner. Car il a perdu le soutien populaire. Et le Procureur général aussi.

Poroshenko a ainsi sacrifié le Procureur ukrainien, qui, lui, a démissionné. Devant donner l'exemple. Il faut dire qu'il n'y avait rien de vraiment personnel. Certes Liachko a fait campagne contre l'institution de la Procuratura, ses voitures de luxe, mais le problème est ailleurs. Les organismes internationaux vouent une haine irrationnelle à cette institution répandue dans les pays post-soviétiques, adaptant le système institutionnel continental. Or l'harmonisation doit impérativement passer par l'anglosaxonnisation des institutions, dans lesquelles il n'y a pas de Procuratura. Donc, le Procureur général a sauté.

Les députés rejettent le rapport d'activité, mais ne peuvent voter la destitution

Avec beaucoup de retard, pour sa part, Yatséniuk se rend à la Rada pour présenter son rapport d'activité. Ce rapport donnera lieu à près de 4h de discussion. En substance, le Premier ministre explique que le Gouvernement a fait tout ce qui était en son pouvoir vues les circonstances partiuclières pour mettre en oeuvre des réformes importantes conduisant l'Ukraine sur la voie de l'européanisation. Même si c'est difficile, il faut le faire et renforcer le mouvement. Et seul ce gouvernement peut le faire. Il faut l'en remercier. D'ailleurs, il y a eu beaucoup de progrès, etc, etc, etc. Face à cela les députés, à l'exception de ceux appartenant au bloc de Yasténiuk, ont critiqué le travail du Gouvernement et finalement, par vote, l'on jugé insatisfaisant. Vous pouvez regarder en détail tout cela ici:



Et le grand moment arrive, celui du vote de défiance pour destituer le Gouvernement. Les députés s'y étaient préparés, avaient réunis les voix nécessaires pour poser la question. Tout est prêt et ... la majorité des 226 voix finalement n'est pas atteinte, certains députés se rétractent. On voit même le départ avant le vote d'une trentaine de députés du bloc d'opposition. Etrange démarche pour une véritable opposition ...

Les voix pour la destitution du Gouvernement se répartissent ainsi:
  • Bloc Poroshenko: 97 / 136
  • Front populaire (Yatséniuk): 0 / 80
  • Samopomoch (les commandants): 25 / 26
  • Batkivchina (Timoshenko): 15 / 19
  • Parti radical (Liachko): 15 / 21
  • Bloc d'opposition (ancien Parti des régions essentiellement): 8 / 43
  • Volonté du peuple: 6 / 21
  • Vidrodjenia: 0 / 23
  • Députés hors fractions: 28 / 51
Avec 194 voix sur les 226 nécessaires, finalement et Yatséniuk et le Gouvernement restent en place, alors que les députés viennent de considérer comme insatisfaisant leur travail. Seul Timoshenko a l'honnêteté de rappeler son ministre du Gouvernement, se retirant ainsi de la coalition gouvernementale et passant officiellement dans l'opposition.

La situation reflète totalement l'hésitation américaine sur le sort de cette équipe

Le 2 février, l'ambassadeur américain se prononce sur Twitter contre un changement radical de Gouvernement en Ukraine et soutient le Premier ministre Yatséniuk à sa tête.

[1/2] Опасные голоса говорят: "Хватит министров-технократов и профессионального управления - пришло время политикам взять бразды правления"

Selon lui, ce serait faire le jeu de Moscou, démontrant ainsi que le processus démocratique en Ukraine, loin de se renforcer, s'affaiblie.

Mais le 10 février, sur le site de l'ambassade américaine en Ukraine, l'ambassadeur explique que les Etats Unis vont aider Kiev dans ses négociations avec le FMI si les réformes nécessaires sont mises en place. Et pour cela, il insiste pour des changements au Gouvernement. 

La position n'est pas claire et pour cause. Si les Etats Unis sont pour un renforcement et une accélération du cours des réformes, alors que le Gouvernement actuel, à son goût, ne va pas passez vite, il ne peut prendre le risque de provoquer l'éclatement de la coalition gouvernementale. 

Pour comprendre cela, il faut comprendre les mécanismes constitutionnels ukrainiens. Le Gouvernement est formé par une coalition de fractions parlementaires qui doivent regrouper la majorité qualifiée des députés, à savoir 226. Si la coalition explose, il faut dissoudre la Rada et provoquer des élections parlementaires anticipées. Et certains partis actuellement au pouvoir risquent de voir leurs résultats largement remis en cause. Par exemple, le parti de Yatséniuk n'a aucune chance d'être réélu alors que l'opposition va voir sa position renforcée.

Dans la coalition actuelle entrent les partis du Bloc Poroshenko, de Timoshenko, de Yatséniuk, Samopomoch. Liachko a très vite quitté la coalition ainsi que les députés indépendants. Des 304 initialement, il reste donc un peu plus de 280 députés. Mais, si un accord n'est pas trouvé avec les députés du Front populaire de Yatséniuk pour qu'ils restent dans la coaltion malgré le changement de Gouvernement, la coalition explose et cela provoque des élections anticipées.

Or, les Etats Unis n'en veulent pas, il y a trop d'incertitudes. Certains en Ukraine affirment que, avant le vote, des négociations ont eu lieu entre Poroshenko et Yatséniuk, pour que, du coup, il ne saute pas. Mais pour autant, le Premier ministre se trouve en situation difficile, car il va devoir gouverner sans avoir le soutien du Parlement. 

Le facteur d'opposition intérieure

On ne peut pas pour autant parler d'une coabitation à la française, car la pratique française avait permis de dépasser le conflit entre l'exécutif et le législatif, justement en mettant en place un gouverment qui reflétait la répartition des forces politiques parlementaires, indépendamment de la couleur politique du Président, qui était dans l'opposition. Donc, la gouvernance était difficile mais possible. En Ukraine, le gouvernement est dans l'opposition, contre l'assemblée. Cela ressemble un peu à la période des années 90 en Russie quand Eltsine, en minorité, devait gouverner par oukase pour dépasser l'opposition parlementaire. Mais Poroshenko le peut-il? On peut en douter. Donc, le risque de paralysie totale des institutions est réel si les députés décident de lutter jusqu'à la victoire.

Certains signes le laissent présager. Les membres de la fraction parlementaire Samopomoch ont décidé de boycotter la cession parlementaire aujourd'hui, car le Gouvernement est illégitime. Quant au vote de destitution, des députés affirmant que leur vote n'a pas été pris en compte en raison d'un bug technique du système électronique de vote demandent un second tour. Si le vote d'hier n'est pas remis en cause, le Gouvernement et Yatséniuk ont une immunité politique totale jusqu'à septembre, l'ouverture de la nouvelle cession parlementaire étant le 6 septembre. Mais cela ne leur donne pas pour autant la possibilité de continuer à gouverner. 

Il faut dire que même dans le cas d'une destitution, l'implantation de ministes/tuteurs étrangers rend les modalités de gouvernance extrêmement rigides. Les remettre en cause serait remettre en cause l'effectivité de la tutelle directe étrangère, ce qui est impossible. La seule sortie réaliste dans ce cas est le renforcement. Donc, un changement de gouvernement risque de conduire à une augmentation de la tutelle étrangère, ce qui n'est pas dans l'intérêt de l'Ukraine. De ce point de vue, l'échec de la destitution du Gouvernement, n'est peut être pas le pire scénario pour le pays. C'est dire où la situation en est arrivée ...

Cette histoire montre toute la difficulté de l'externalisation de la gouvernance. L'on peut ainsi voir ce qui se passe dans un pays qui s'est mis sous tutelle étrangère et internationale. C'est une bonne leçon, qu'il nous faut examiner en détail. Puisque, en quelque sorte, l'Ukraine est une image de l'avenir de l'Europe. A nous de choisir avant qu'il ne soit trop tard.








2 commentaires:

  1. Comment comprenz vous le départ des députés du bloc de l'opposition (ex parti des régions) qui n'ont pas pris part au vote et qui devrait voir l'intérêt de faire tomber le gvt et de provoquer de nouvelles élections dont ils sortiraient renforcés?

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  2. Pour moi cela montre, au minimum, le caractère fictif des partis politiques ukrainiens aujourd'hui et ouvre la porte à des alliances, normalement, contre nature.

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